Ceux qui traversent la mer reviennent toujours à pied

Ceux qui traversent la mer reviennent toujours à pied

Marine Veith signe un premier roman foisonnant, traversé par de nombreux sujets de société.

L’ouvrage s’ouvre sur Julien, tentant l’autostop vers l’ailleurs. Il est à la rue car il vient d’avoir 18 ans et les services sociaux ne peuvent plus s’occuper de lui ni poursuivre leur accompagnement. Tomber en majorité, cela peut donc devenir grave pour certain.es qui n’ont pas de famille et dépendent de l’aide d’État pour avancer dans leur existence. En l’occurrence, Julien se sent plutôt mis à l’arrêt , plongé en insécurité.

Il tombe sur Bardu, un baroudeur au vieux 4×4 déglingué qui, au-delà de le prendre en stop vers une nouvelle destination, le garde sous son aile. Bardu est le capitaine d’un voilier qu’il manœuvre à travers la Méditerranée pour transporter du cannabis. Il ne consomme ni ne revend, il assure juste le convoyage, quelques fois par an et se pose dans une modeste cabane de pêcheur, à Sète, quand il ne navigue pas.

Une fois le cadre posé, le roman nous propulse sept ans plus tard au cours d’une traversée où l’on découvre Julien devenu Joujou, second de Bardu, docile et conciliant avec son aîné. L’équipe démarre un nouveau contrat avec la Tunisie et les négociations se passent au mieux.

« Le problème, quand on passe des mois en mer, c’est qu’on perd pied avec la réalité. Le monde avance et quand on débarque à nouveau, il s’est trop déplacé pour qu’on puisse le rattraper. Moi, je menais une existence à part : une vie qui me rapprochait des éléments mais m’éloignait des êtres. »

Sur le chemin du retour vers la France, la routine de ce nouveau marché va subitement se trouver bouleversée par l’arrivée inattendue d’Exaucée, migrante congolaise, qui embarque clandestinement sur le bateau et prend l’équipage en otage lors de son escale en Sicile.

Joujou et Bardu sont contraints de filer plus vite que prévu et, ce faisant, ils manquent d’honorer les usages locaux : graisser la patte de la mafia et faire le dos rond auprès de la concurrence.

S’ensuivra une course-poursuite foutraque sur la mer, à mesure que le trio à bord s’apprivoise : rencontre impromptue d’un yacht armé par un milliardaire russe trafiquant en tous genres, accostage inopiné en Sardaigne auprès d’un couple de parisiens naturistes ayant tout plaqué pour vivre une « vraie vie », arrivée du Monte-Cristo piloté par un marin solitaire aussi fou que son navire est garni d’une accumulation hétéroclite qui sauvera la mise au trio fort mal en point…

Rebondissement après rebondissement, Joujou arrêtera de courber le dos tandis que Bardu l’accompagnera vers son émancipation. Il s’éprendra d’Exaucée qui a déjà vu tellement d’horreurs qu’elle ne se sent pas capable d’aimer. Et qui, quoiqu’il arrive, a décidé de rejoindre sa tante à Paris !

Quelques pétouilles de langage que l’éditrice ou l’éditeur aurait pu accompagner l’autrice à revoir : récurrence de l’adjectif « petit », métaphores un peu systématiquement introduites par « comme » — d’aucun.es reconnaîtront ici certaines de mes obsessions en écriture avec les adjectifs et les adverbes, entre autres…

Au fil d’une histoire enlevée, l’autrice balaie de grandes questions sociétales, telles l’aide sociale à l’enfance et ses écueils, le sort des migrant.es à travers la Méditerranée contraint.es à la fuite de leur pays massacré par la guerre, la place des femmes, la pollution des mers, le rôle décisif de certaines rencontres, l’amour, la capacité à devenir adulte… et les étranges rencontres que la mer peut provoquer.

Les personnages ont chacun un caractère bien trempé et la narration au « je » qui rapproche de Joujou, narrateur de l’histoire, le rend aussi touchant qu’attachant.

Ceux qui traversent la mer reviennent toujours à pied est publié aux éditions Sarbacane.

 

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