Merci patron !

Merci patron !

Francois Ruffin a fondé le journal Fakir. Le temps d’un film, il mue en Robin des bois et livre Merci Patron ! un documentaire jubilatoire.

Amiens, ville dévastée par l’industrie rapace — qu’on pourrait aussi dire sans foi ni autres lois que les siennes — cumule les plans sociaux et les fermetures d’usine. On y œuvrait dans le textile, dans l’industrie du luxe. Bon nombre de femmes et d’hommes étaient les employé-es de sociétés bénéficiaires qui ont malgré tout délocalisé, tout en négociant des plans sociaux radicaux.

Faut-il rappeler que le néolibéralisme et ceux qui y misent se moquent éperdument du maintien de l’emploi dans un bassin. L’avenir des « pauvres gens » importe peu dans un système d’affaires où les tenants du pouvoir économique ont pour « vocation », au cours de leur passage terrestre, de jouir sans entrave qu’importent les retombées au plan collectif, de contribuer le moins possible au collectif qui sert leurs intérêts, afin de faire fructifier la fortune familiale pour léguer à la génération suivante un patrimoine augmenté. Il ne sera pas dit que cet héritier-là aura laissé le magot se déprécier. Que ses activités aient ruiné des humains et la planète qu’ils partagent… dégâts collatéraux, pertes et profits, il existe des mots pour qualifier ces — incontournables — maux.

Francois Rufin s’intéresse aux entreprises délocalisées de Bernard Arnault, au moment où celui-ci pense se faire citoyen belge : une histoire d’imposition moindre dont l’homme le plus riche de France aimerait bien bénéficier. Car la France, c’est bien connu, avec ses conditions sociales et sa répartition par péréquation, mène les plus riches à la ruine. La France avec ses routes dont chacun bénéficie, sa sécurité sociale qui sert aux malades — aux malades du travail aussi ! Bref, la France, on l’aime ou on la quitte… Celles et ceux qui préfèrent payer moins d’impôts, quitte à pousser le pays à s’enfoncer dans la crise et à faire reposer sur les classes pauvres et moyennes le financement du budget de l’état, sont donc tentés de quitter. Pourtant, et c’est assez paradoxal, personne n’a jamais entendu parler d’un patron fortuné qui aurait refusé les aides de l’État — payées par les impôts dont les riches s’exonèrent en détournant les fortunes faites à bon compte sur le dos des salariés. Un patron qui, estimant avoir déjà reçu sa part via le détournement de ses fonds privés vers les paradis fiscaux, dirait non aux vertus de l’impôt collectif pour sa société privée.

Pas de morale ? Pas d’autre morale dans le business que celui de l’augmentation de la marge de profit. Que les travailleuses et travailleurs d’un pays aient contribué, par leur force de travail, à accroître la fortune du patron, c’est bien normal ! Leur rendre des comptes ou partager les dividendes, voilà qui est impensable dans la doxa des tout-pour-moi-parce-que je-le-vaux-bien. Et puis, si les pauvres ne sont pas contents, qu’ils comprennent la dure réalité et les problèmes de leur patron. Un pour tous et tous pour moi, ça n’est pas si compliqué !

Bref. Amiens est ravagée et les anciens de la couture avec. Alors Ruffin propose aux délaissés du grand capital de devenir actionnaires du groupe LVMH afin de participer aux assemblées et de faire entendre leur voix. Il suffit de détenir un titre. Las, lors de leur venue à l’assemblée, les laissés pour compte sont relégués dans une salle annexe où Bernard Arnault leur rendra pas visite par écran et vidéo interposés. Les petits porteurs n’ont même pas la faveur du gros calibre, c’est dire le respect qu’on leur porte.

Merci Patron ! poursuit son chemin avec l’histoire d’une famille qui a accumulé les dettes depuis que mari et femme ont été licenciés d’une entreprise rachetée par Arnault. Leur maison est menacée de saisie. Ils n’en peuvent plus, mangent un repas sur deux, aimeraient un travail mais dans une ville ravagée… la situation est critique.

Ruffin leur propose d’écrire un courrier à l’ancien patron. Un courrier sincère, qui présente leur situation, l’enfer d’une vie sans argent depuis qu’ils ont été virés et que les indemnités de chômage ont laissé place aux minimas sociaux. Commence une succession rocambolesque de tractations entre le chef de sécurité d’Arnault, tandis que Ruffin et son équipe ont installé micros et caméras dissimulés pour tracer les épisodes. Le patron est d’accord pour leur donner 40 000 €, à condition, cela va de soi, qu’ils n’ébruitent pas la situation. Il ne manquerait plus que l’ensemble des personnes licenciées et mises à mal dans leur quotidien demandent des comptes au patron fortuné ! Les licenciés signent un accord de confidentialité, touchent l’argent et respirent enfin.

C’est drôle et caustique. Un brin vengeur et très espiègle.

Le reste est dans le documentaire, parfaitement mené vers une sortie de crise la tête haute. Où l’on verra que, finalement, au royaume de l’argent sans compter, bien est pris qui croyait prendre.

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