Le Samovar

Le Samovar

Tristan débarque plutôt malgré lui dans un squat à Norville. Étudiant en BTS aux frais de sa mère, il s’ennuie dans une vie à l’avenir tout tracé. Un avenir « papier glacé » dont il ne veut pas pour lui : études, travail qui s’ensuit avec salaire décent, mariage, maison, enfants…

Interpelé par ce qui se déroule dans un lieu habité illégalement, il est tenté d’y revenir et finit par s’installer parmi les occupant-es régulièr-es comme celles et ceux de passage.

Des gueules cassées, des personnes en situation irrégulière, des femmes, des hommes, toutes tranches d’âge confondues forment un collectif en quête d’autogestion, de réinvention du vivre ensemble. La vie en squat se frotte aux attaques de cagoulés violents, comme à celles d’une presse à charge, politicienne et manipulatrice. Aux questions de survie aussi, avec un minimum de moyens en eau et énergie, de la nourriture souvent récupérée dans les poubelles de supermarchés.

Autogestion, bidouille et génie créatif. Difficulté à trouver du commun, en termes de prise de décision comme de discussion. Devoir de tolérance envers l’autre, nécessité de questionner son rapport au sexe, à la pulsion. Changer de mode alimentaire et gérer son potager…

« Certains après-midi aux Capus on s’assoit Marjo et moi et on discute pendant que les autres bêchent ou désherbent. On n’est pas là pour bosser comme des arraché-pieds, comme elle dit. Je me lasse pas de l’écouter. Sa vie n’est qu’une succession de plans squat, de virées en camion, de free parties, de gars saisonniers, de voyages en train sans billet… Nomade en quelque sorte. (…) Depuis deux ans, elle suit des potes qui ont monté un sound system. Au début ils se déplaçaient dans la région, maintenant ils poussent de plus en plus loin. Ils organisent des teufs à cent cinquante deux cents personnes, rien de méchant, toujours sans autorisation. »

À Norville, le squat n’est pas plus toléré qu’ailleurs. Entre mensonge et dissimulation, la municipalité joue un jeu trouble auprès des occupant-es soutenu-es par des personnes du quartier et d’au-delà. En parallèle, alors qu’un terrain à l’abandon est investi pour un potager collectif, la rumeur dit qu’un projet de centre de rétention administrative est envisagé dans ce lieu. Les faits seront avérés.

La résistance s’organise et la mairie riposte par des menaces d’expulsion des squats de la ville. Le réseau des squatteur-ses est efficace, connecté, et des personnes arrivent en masse de France et d’ailleurs pour apporter leur soutien. Une grande fête naît spontanément, les rencontres et les amitiés se tissent. Le rassemblement est l’occasion d’une réquisition alimentaire dans un supermarché devant des clients médusés, affolés, un gestionnaire menaçant qui n’aura d’autre choix que celui de céder la marchandise.

Après une dizaine de jours d’une vie collective démocratique comme rarement, le rassemblement se termine. Épuisement général augmenté par les déconvenues d’une pluie incessante.

Aussitôt les gens de passage partis, attaque municipale avec force CRS qui malmènent celles et ceux resté-es sur place avant de les embarquer. Saccage du lieu par les ex gardiens de la paix — devenus forces de l’ordre, les mots ont un sens —, rassemblement des lambeaux de tout ce qu’ils ont détruit en un tas immonde pour fournir aux médias les photos donnant à croire que les squatteur-ses sont sales, ne respectent rien, vivent dans les ordures… (Les médias de propagande adorent ce soutien de la police à leurs activités de documentation falsifiée, comme cela a été largement vérifié au Testet, pendant la lutte contre le projet de barrage de Sivens.)

« Pire que la pluie et la boue, c’est l’inaction qui tape sur le système. Tant qu’on était dans la lutte, on y croyait. Maintenant, on sent le découragement gagner les troupes. »

Pendant l’assaut, Tristan se cache, s’échappe du Samovar et cavale. Dans ce monde, il reste de la solidarité et il trouve de l’aide, tout en mesurant la complexité de la résistance et du soutien à la cause. Ils s’installe avec Romain dans un autre squat en centre ville. Tous les deux seulement, dans un lieu qu’ils maintiennent fermé pour ne pas attirer l’attention. Pas d’eau donc pas de sanitaires. Passage plus que difficile. Enfermement, ennui, puis quelques bouffes d’oxygène pour aller au cybercafé prendre des nouvelles du monde, croiser une connaissance ou une autre et se tenir informé des charges retenues contres celles et ceux qui ont été embarqué-es par la police. Les conséquences sont lourdes.

Tristan et Romain tiendront dans leur abri de fortune jusqu’à une nouvelle descente de police, plus radicale cette fois.

Le Samovar raconte ce monde encore à la marge qui pourrait pourtant devenir un modèle utile pour la réorganisation sociétale. Un monde où tout se questionne, où chacun-e a une place, d’où qu’elle-il vienne. Un monde qui demande de se mettre en surveillance de soi pour critiquer ses usages et les faire évoluer — se critiquer soi plutôt que les autres. Un monde sans leader ni porte-parole — que bien des journalistes français-es se plaisent à dénigrer dès lors qu’un squat ou qu’une zad entre dans l’arène médiatique (voir Sivens, Notre-Dame-des-Landes, Roybon…).

Le Samovar est le premier roman de Nicolas Rouillé. Il est paru aux éditions Moisson rouge.

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