À notre chère disparue, la Démocratie
Parmi les compagnies de théâtre toulousaines de ma connaissance, le Groupe Merci est des plus engagées. Dans son spectacle À notre chère disparue, la Démocratie, le groupe se livre à un virulent enterrement en public.
Cinq comédiens et une comédienne se partagent la scène en une succession de saynètes aux textes cinglants, moqueurs, dénonciateurs, dans un camaïeu composé d’extraits de textes d’Éric Arlix, de Ronan Chéneau, de Pierre-Joseph Proudhon.
En début de spectacle, les partis-pris scéniques peuvent sembler abscons dans un ensemble qui manque parfois de liant — qui a vu le spectacle comprendra l’allusion… À notre chère disparue, la Démocratie débute avec un homme seul. Il récite assis dans un fauteuil de bureau. Lui succèdent un homme et une femme dont on comprend mal les mots. Elle pleure, pleure, pleure. Trois comédiens arrivent dans trois caisses en bois roulées sur le plateau. Costume, cravate et chemise blanche, un livre à la main dont on imagine qu’il symbolise la constitution, il s’envoient des pelletées de mots.
Et puis, souffle suspendu quand l’un des comédiens balaie l’air d’un mouvement de drapeau tricolore. Reproduisant au Circa le format de leur théâtre toulousain, les comédiens jouent au milieu des spectateurs installés sur trois niveaux de gradins. Dans un étrange silence, le tissu frôle les têtes. L’éclairage est faible, c’est troublant et beau à la fois.
Trois pantins colorés gesticulent dans une caisse remplie de pâte à la couleur d’un pan du drapeau français. Ils raillent les principes démocratiques, dénient, moquent. Ils sont drôles et agaçants, écœurants aussi tant leur « costume » gluant les rend ignobles. Le bleu, le blanc, le rouge dégoulinent sur les chemises et cravates. Tout en discourant, ils s’en barbouillent, s’en goinfrent, en éclaboussent la salle, jusqu’au chaos final. Les caisses sont basculées au sol, les comédiens pantins projetés viennent s’éteindre sur le plateau de la salle. Traînées de bleu, de blanc, de rouge.
Lors de la représentation de lundi soir à Auch, la salle était riche de lycéens accompagnés de leurs enseignants. Prendre en pleine face la ruine énoncée de son avenir sous la forme d’un objet esthétique incisif : très inconfortable.