Un pays qui se tient sage

Un pays qui se tient sage

Un pays qui se tient sage est un documentaire de David Dufresne. Journaliste, l’auteur a chroniqué pendant un an Allô place Beauveau, dans les pages de Mediapart où il a tenu le décompte des dommages et des blessures infligées aux manifestant.es du mouvement des Gilets jaunes.

Dans le documentaire, l’auteur relate les violences policières en France, dans la gestion des manifestations et principalement au cours du mouvement des Gilets jaunes dont la répression a coûté la perte d’yeux, de mains, de graves blessures, entre autres traumatismes. Et c’est de ce côté-là que se place le point de vue de l’enquête.

Une sélection d’images de charges policières, de tabassages est exposée à un panel de protagonistes qui les analysent et les commentent. En tant que spectatrice ou spectateur, nous sommes également plongé.es dans ces images brutales et nous écoutons ce qui s’en dit. Nous écoutons d’autant mieux que David Dufresne choisit de ne présenter les intervant.es, leur nom, leur fonction, qu’au générique de fin, ce qui laisse toute la place au poids des mots, sans le filtre potentiel qu’aurait apposé la connaissance du rôle de la personne interrogée. Même si certains profils se révèlent plus vite que d’autres — deux personnes ayant perdu un œil l’ont couvert d’un rond de cuir sur lequel est inscrit « gilet jaune », un protagoniste tient des propos donnant à penser qu’il est policier — cette proposition permet d’être relié à ce qui se dit, et à cela principalement.

Dans Un pays qui se tient sage, la force des images et le poids des discours successifs permettent de saisir la brutalité disproportionnée de l’action policière. Et au-delà des manifestations des Gilets jaunes, ces 153 collégien.nes maintenu.es pendant plus de 3 heures à genoux, les mains derrière la tête, comme dans un régime autoritaire ne respectant que la force d’asservir le peuple — pour mémoire, cette journée de décembre 2018 s’est soldée par la garde à vue de 190 collégien.nes…

Agir de façon autoritaire, faire en sorte que les images de ces assauts du peuple circulent, que les médias fassent débat sur le sujet, sur le choc généré par la violence policière, la légitimer peut-être… rien de tel pour marquer les esprits et intimer au peuple d’y réfléchir à deux fois avant de se révolter, de dire sa colère des inégalités qui s’aggravent, avant de descendre dans la rue en usant de son droit constitutionnel de manifester.

En fin de documentaire, l’auteur rappelle la mort de Rémi Fraisse, à Sivens (Tarn), dans la nuit du 25 octobre 2014. Je me souviens de la violence des CRS à la Zad relatée par celles et ceux qui défendaient la zone humide du Testet contre le projet d’un barrage payé par de l’argent public pour bénéficier à une poignée d’agriculteurs conventionnels. Après la morte de Rémi Fraisse, je me souviens de la violence qui s’est abattue sur la manifestation pacifique il y a 6 ans, chroniquée dans mon blog Mediapart sous le titre : À Toulouse, la guerre contre le peuple est déclarée. Il y a 6 ans, la police s’entraînait dans les manifestations de Nantes et de Toulouse, toujours sévèrement réprimées, fabricant des prises de manifestant.es pour le journal de 20h et la Une des journaux, comme je l’ai vu faire. Déjà, nous étions sommé.es de craindre les forçats de la rue — les manifestant.es casseur.es — pour révérer la violence policière, oui, en appeler à l’autorité de l’État face à ces « black blocs » effrayant.es parfaitement stigmatisé.es pour détourner le regard du sujet de la colère du peuple.

Le documentaire de David Dufresne est nécessaire, historique, car il trace les dérives à l’œuvre en démocratie néolibérale — une association de mots antinomique car le néolibéralisme est tyrannique. Le film est sorti sur les écrans il y a quelques semaines. Souhaitons qu’il puisse poursuive sa diffusion au déconfinement mais également qu’il soit relayé par une chaîne de télévision publique afin de lui donner l’audience qu’il mérite. La dérive autoritaire de l’État est tracée, son détournement des forces de police est interrogé car loin d’assurer la mission de service public consistant à assurer la sécurité de la population, ces forces assurent dorénavant la protection de la doctrine gouvernementale, et cela seulement. Au détriment de la démocratie. À l’heure de la proposition de loi sur la sécurité globale — une terminologie qui interpelle — ce film est d’autant plus indispensable.

Au-delà du film, il faudra aussi se souvenir de cela : récemment en France, 4 enfants d’école primaire ont été interpellés au petit matin à leur domicile, par des policiers en tenue d’assaut. Les appartements ont été perquisitionnés. Les enfants ont été auditionnés pendant des heures pour apologie du terrorisme. Leurs parents craignent qu’ils soient dorénavant stigmatisés et pointés comme « terroristes » à leur retour en classe. Ils ont 10 ans. Leur arrestation s’est déroulée le 5 novembre 2020.

Mais puisqu’un laboratoire américain vient d’annoncer la prochaine mise sur le marché d’un vaccin anti-covid, voilà la promesse que nous allons être prochainement sauvé.es. Depuis ce matin, la radio ne parle que de cela : le vaccin, les études réalisées en 7 mois seulement, les nano-particules salvatrices… Nous voilà à nouveau détournés du scandale que représente l’arrestation inique de ces enfants, entre autres violences consistant à réduire les libertés comme à réprimer.

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