L’Intranquille

L’Intranquille

Peintre, sculpteur et graveur, Gérard Garouste co-écrit avec Judith Perrignon, écrivaine journaliste, le chemin de sa vie. L’ouvrage, sous-titré « autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou », retrace un parcours sensible brutalisé par un père antisémite, une famille à tiroirs de non-dits, une enfance solitaire dans le ballottement de la vie mue par des parents qui, s’ils font sans doute du mieux qu’ils peuvent, marquent au fer rouge l’inconscient de leur enfant.

Besoin de reconnaissance des adultes, enrichissement sur le dos des déportés, violence verbale, l’enfant Garouste encaisse jusqu’à la nausée.

« C’est quelque chose qui m’est venu au collège et que je pratique encore. J’ai forgé des résistances et des abris. Je sais déserter le réel quand il est trop dur, je me laisse happer par mes idées, mes histoires. Je rentre en moi. »

Gérard Garouste erre longtemps avant de s’oser peintre. Besoin de trouver du sens, d’y mettre les mots. Il s’approche des textes religieux, apprend l’hébreu. Scission intérieure, difficile trahison familiale, refus de l’héritage du magasin de meubles déjà Garouste et fils, pour tracer sa voie, son chemin d’homme via l’épuisement des traumatismes familiaux en legs, une quête vers la liberté de soi.

Années 1980, Garouste rencontre à New York un homme incontournable dans le marché de l’art. Sa carrière est lancée. On exige de lui une production intense, lucrative, qui l’inquiète. Il vit en Normandie, s’éprend des nuits parisiennes aux Bains Douches, décore le Palace de ses peintures.

« Certains soirs, je restais, je dansais un peu, je partageais les pétards et l’ampoule de poppers […]. Je goûtais ce bain effervescent mais je restais au bord. Je connaissais déjà les sensations de l’autre côté, le corps subitement léger, la tête libérée des peurs et du vertige, le délire m’y avait mené, il a les mêmes effets pervers qu’une défonce, il procure de la jouissance puis vous laisse sanglé dans une ambulance psychiatrique. Alors, je restais loin de l’alcool, des drogues, de tout ce qui empêche un homme d’être en adéquation avec lui-même. »

Tenu serré entre l’envie, la nécessité de peindre, et l’inquiétude des crises d’angoisse voire des internements à venir, Garouste poursuit sa voie entre création, vie familiale, crises de démence, vertige du sensible, lucidité quant aux dérives du marché de l’art.

« L’artiste le mieux vendu aujourd’hui s’appelle Jeff Koons. Il a commencé trader à Wall Street […] son atelier a tout d’une entreprise et il n’a aucun complexe à dire qu’il s’intéresse plus au prix de ses œuvres qu’à se œuvres elles-mêmes. Il est le gagnant d’une époque faible, soulée de  télévision, d’argent et de performances où le métier d’artiste est très prisé. »

Au fil de sa carrière, Garouste expose peu à l’international — il a refusé de s’installer à New York pour conquérir le marché américain —, peint des théâtres et les plafonds de l’Élysée. Il est accompagné et soutenu par ses amis d’internat devenus metteur en scène pour l’un, écrivain pour un autre… Il vient en aide à ceux qu’il croise, dans un parcours humain, inquiet, interrogatif, critique.

« Comme toujours, [la France] campe sur son histoire, et, d’une révolution pleine de sens, cent ans plus tôt, elle a fait un dogme. Tout ça se termine en un circuit où les coteries et la spéculation vont bon train, où l’empire du luxe, avec la connivence de l’État, achète et revend des millions d’euros des œuvres qui ne dérangent personne. »

L’Intranquille est publié au Livre de poche.

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