Le Voyageur liquide

Le Voyageur liquide

« Le serpent tomba du ciel au moment où je sortais de la station service. »

Première phrase hallucinée du Voyageur liquide, roman de Jean Cagnard publié chez Gaïa.

Depuis une aire d’autoroute, le livre embarque dans un road-movie. Une traversée de la France mûrement réfléchie qui porte le narrateur à la rencontre de sa fratrie trop longtemps délaissée.

L’homme est à la croisée des chemins. En errance existentielle. Il avale les kilomètres et retrace son parcours, se souvient de celui de ses familiers. Égaré dans un monde qu’il sent lui échapper.

« Quand la syntaxe se vide du profit de la répétition d’un seul mot, c’est du pet ; c’est aussi qu’une civilisation est en train de basculer. »

De pages en pages, les kilomètres parcourus peinent à coller avec l’objectif de départ. Une mouche en compagne de fortune à l’intérieur de l’habitacle pose quelque question des profondeurs. Plus tard, depuis le rétroviseur, le chauffeur surveille la biche installée sur la banquette arrière. Les paysages se succèdent. Un auto-stoppeur surgit et s’évanouit dans le paysage. Il porte un sac-à-dos. Se nourrit de terre…

Le fils du narrateur lui téléphone aussitôt qu’il approche une grande étendue d’eau — fil de communication en guise de garde-fou d’un homme à l’abandon tant que son téléphone demeure en état. Le père est « branché » sur son fils, pressent ses appels et donne quelques clés à son descendant occupé à gratter le sol en quête de vestiges, de traces, de compréhension. Plus tard il pleuvra quelques écureuils.

Portrait d’un homme défait de lui-même, au bord de la rupture. Un homme qui se nourrit de terre à son tour. Abandonne sa voiture au lac. Poursuit son pèlerinage à pied, de jour comme de nuit. Et, en parallèle de ses pérégrinations, la peinture d’une société à la déliquescence avérée.

Cagnard écrit avec précision. Pose des formules qu’on rêverait avoir pensées.

« Je m’étais senti très proche de dormir indéfiniment. Je revenais sans image, mais chargé de particules en suspension, et comme une eau trouble, j’attendis le dépôt de mes sédiments pour me remettre à couler entre les rochers de la journée. »

Le Voyageur liquide embarque dans un univers qui pourrait passer pour foutraque. À bien y regarder, de pages en pages, de scènes décalées en passages absurdes, de rares dialogues en phrases ciselées, l’auteur raconte, bien au-delà du sens premier, l’histoire d’une vie contemporaine.

« Comme on reconnaît un enfant sans l’avoir jamais vu, je reconnus mes cendres sans les avoir jamais imaginées ou rencontrées. » 

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