Danse à quai

Danse à quai

Il a peut-être vingt ans. Corps hébété de celui qui s’est mis en route trop tôt dans sa journée. Dos légèrement voûté par le poids du matin qui cahote au rythme d’une rame de métro automatisé. Regard mobilisé au sol. Tee-shirt barré pleine poitrine par les quatre lettres d’une marque de vêtements de sport. Bermuda en jean. Tennis en toile. Son sac à dos posé entre ses pieds.

Il est appuyé au long coussinet qui permet l’assise debout. Sorte de banquette à trois voire quatre fessiers permettant de stabiliser le tangage des corps en transport à travers les tunnels sous la ville.

Sous ses airs de jeune adulte, quelque chose de l’enfance plein le visage. Est-ce la torpeur matinale qui exhale son air poupon ? Qu’elle aurait pu se prolonger sans être appelée au réel. Est-ce que chacun est saisi d’enfance dès lors que sa nuit est chavirée trop tôt ? Top courte. Les yeux engourdis de rêves impossibles à éteindre, le corps longtemps attendri par la chaleur d’un lit, la détente du repos nocturne suspendue aux fibres…

La rame est arrêtée à quai. Les portes restent ouvertes trop longtemps et quelques regards inquiets s’échangent déjà. Interrogations dans le silence. Sans les mots porteurs de sens encore. Puis l’annonce dans le micro résonne dans les haut-parleurs. incident technique. Arrêt prolongé au moins dix minutes.

Soupirs et agacements, quelques insultes fusent, d’aucuns quittent la voiture et la station dans un reflux nerveux.

Lui, magnifique indolent, s’approche des portes. Passe une main au dehors comme s’il s’attendait à ressentir de la pluie. Regarde sa main. Glisse lentement son buste et lève le regard vers un ciel improbable. Il risque un pied, un autre, regard à droite puis à gauche. Esquisse un pas de danse et glisse sur le quai.

Il offre son allure, magnifiquement déhanchée. Il se délie, se déplie. Envergure gracile. Puis il prend son élan et saute, fend l’air, accélère le rythme.

Dans les voitures, voyageurs attendris, sourires et joie aux regards lumineux. Qu’elle est belle cette panne de métro ! Et pourvu qu’elle se prolonge tant que la danse envoûtante offre une échappée singulière qui touche, émeut les cœurs et ravit les visages.

Il a peut-être vingt ans et il est tout en grâce. Son corps inspiré par un tempo que lui seul connaît. Habité de rondeurs, de mouvements souples, il court, sautille, change de direction d’un trait. Imprévisible, magnifique de générosité, il caracole.

La sonnerie du métro retentit. Il regagne la voiture dont il s’était extrait, retrouve l’emplacement de son sac. Les applaudissements le cueillent, sourires en partage, échange de remerciements. La rame quitte le quai.

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