Elle vit dans un pays…

Elle vit dans un pays…

Elle vit dans un pays en guerre. Ses hommes en armes — rarement désarmants. Pas question de tuer mais de conserver des privilèges. Des cours carrées aux chefs identifiés. Des modes opératoires, des circuits convenus, des façons de faire agréées. Des hommes qui veulent que rien ne bouge ou à peine.

Un pays qui endosse l’asservissement rassurant construit siècle après siècle sur un mode martial où l’homme donne sa vie à la guerre, la femme son ventre à la Nation — mettre au monde des hommes pour la guerre, des femmes pour les ventres… Sa croyance au chef ou au dieu.

Des siècles d’hommes partis se faire tuer au nom d’idéaux qui les dépassaient. Des projets sertis de mots illusoires auxquels bon nombre n’avaient guère accès. Des hommes trompés et bafoués, trahis souvent. Des hommes manipulés.

Restent des monuments érigés en mémoire des sévices rendus par la Patrie. Une fierté factice savamment marketée en souvenir d’un peuple qui a su s’opposer, quelque guerres ou révolutions plus tôt, s’empressant de reconstruire ce qu’il avait ardemment dénoncé.

Échec programmé. Honte engrammée. Parole impossible à libérer. Générations entravées par les non-dits qui les ont précédées.

Les femmes en lieu de règlement de comptes. Leur corps en terrain de bataille.

Elle vit dans un pays où l’on impose ses idées par la force. Sa loi par les coups. Son désir par le viol. Où les hommes disent encore en public aux femmes comment se tenir.

Elle vit dans un pays où l’être humain refuse d’apprendre de l’histoire. Nie l’inspiration d’autrui si elle ne souffle pas sur une même gamme. Se croit meilleur pour tout et se raconte des histoires faussement valorisantes quand elles ne sont pas dénigrantes — on peut bien rire de tout et de tout le monde. Porte son angoisse en blason, redresse crânement la tête au moindre claquement de bottes, suit sans mot dire celui qui crie au loup le plus fort.

Elle vit dans un pays dont les habitants se détestent. Haine de soi, haine de l’autre ce bouc émissaire. Des gens qui hurlent au monde leur complexe puis tentent l’apaisement avec force calmants. Fascination morbide pour la violence active comme passive. Négation de sa créativité comme de sa capacité à se réinventer. Peur de soi, peur de l’autre, peur de vivre.

Elle vit dans un pays de névrose et de calcul où la domination règne en étalon. Loi du plus fort ou du plus malhonnête, du plus manipulateur ou du plus pervers. Un pays où tout se jauge, s’anticipe, se monnaye. Si peu se vit. Où l’on étudie les cerveaux pour mieux les déconnecter afin qu’ils crachent leur argent et leurs informations privées. Un pays où la technologie et l’asservissement associés muent en fascination économique qui oblige à en cacher les dangers, les limitations, les trahisons.

Un pays où l’avenir est dénié, la terre empoisonnée, les rivières souillées, les gamètes en danger.

Un pays qui crève de remettre à plus tard l’apprentissage de modes pacifiés. Qui tremble de se réinventer et s’enfonce dans la médiocrité.

Elle vit dans un pays…

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