Je suis une sur deux

Je suis une sur deux

« J’ai eu de la chance. J’ai eu le bon viol. Alors parfois, j’ai pu dire. Une fois même, j’ai pu porter plainte. »

L’ouvrage s’ouvre sur ces phrases et se poursuit par la remontée dans le temps que mène l’autrice au sujet du viol dont elle a été victime, l’été de ses 20 ans. De la sidération liée à la violence de l’acte au courage de porter plainte en étant soutenue par ses proches, Giulia Foïs ne s’épargne aucun raccourci et regarde la violence sexuelle droit dans les yeux.

Elle raconte le corps, son traumatisme et ses mises en alerte récurrentes. L’instabilité qui le guette, tapie dans le marquage fait à la chair, capable d’exploser des années plus tard lors d’une caresse, de la perception d’une odeur. La peur qui décuple l’écoute ensuite, la surveillance de tout ce qui circule autour de soi, pour tenter de tout maîtriser, en tout cas ne plus se laisser aborder par inadvertance. Elle dit la volonté de survivre et de vivre, le sourire aux lèvres quand cela est possible et réalise qu’il peut être préjudiciable de finir par « aller bien » après le monstrueux.

Elle dénonce la culture qui entretient les systèmes de domination et d’asservissement, celles et ceux qui s’en contentent et veulent que rien ne change tant que cela leur profite. La suspicion que subit une femme victime, par son entourage parfois, par les modalités policières et juridiques souvent.

« Face à la Femme, l’Homme se débat, il se bagarre. Contre ses démons, contre ses pulsions. Il a la maturité sexuelle et affective d’un chiot, alors parfois, il fait des bêtises — mordre le cuir du canapé, faire pipi sur la moquette et mettre sa bite n’importe où. Nos textes sacrés, notre littérature et donc notre mémoire collective sont articulés sur cet équilibre-là — la Femme faute, l’Homme s’égare : gare à qui le fait trembler. Inverser le questionnement, demander des comptes au violeur plutôt qu’à la victime, c’est renverser l’ordre établi, bouleverser une grille de lecture millénaire, revenir sur une éternité de domination masculine. »

Elle dit encore l’écœurement, la rage face à une défense qui surfe sur les vices de procédure pour dédouaner une ordure — voire l’encourager à poursuivre ses crimes dans l’impunité — et faire capoter une procédure accusant « un bon père de famille ». Car bien qu’elle ait eu « le bon viol », Giulia Foïs ne recevra aucune réparation par le jugement du violeur qui ne sera pas condamné. Et puis, les ouvrages de Clémentine Autain et de Virginie Despentes sont les révélateurs qui mettent des mots sur ce qu’elle n’avait pas encore écrit.

Dans une langue sans ambages, l’autrice livre le récit de la souffrance, de la rage qui peut se retourner contre soi après le viol, de l’incompréhension qui surgit souvent autour d’elle quand la victime ose parler, dire ce qui lui est arrivé. Et la puissance du soutien sans lequel il est si difficile de tenir debout et de dépasser le traumatisme.

Giulia Foïs rappelle les chiffres insupportables : une femme est violée toutes les 7 minutes en France, les féminicides continuent, et tant de femmes ont encore peur de porter plainte : 1 victime sur 10 seulement osera.

Alors, après la déferlante #Metoo à travers la planète et #Balancetonporc dans des pays francophones, après les réactions pathétiques de certain.es dont le conservatisme patriarcal a été révélé par la prise de parole de nombreuses femmes dans le monde, l’autrice en appelle à la déferlante #Balancetonviol.

«  Sur cette ligne de front séparant, aujourd’hui, deux parties aussi déterminées l’une que l’autre, vous ne trouverez pas les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Vous trouverez ceux qui veulent que ce monde bouge, et les autres. […] Ceux qui ont réussi à se faire, dans ce système, une jolie place au soleil, et ceux qui voudraient bien que tout le monde puisse s’y dorer la pilule. Alors évidemment, on compte plus d’hommes chez les premiers, plus de femmes chez les seconds. »

Giulia Foïs est journaliste. Je suis une sur deux est son premier récit récemment paru aux éditions Flammarion.

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