Monique R. 5/5

Monique R. 5/5

Maintenant je n’ai plus besoin de jouer. Je puis enfin accepter les mouvements passés. Je puis regarder mes proches avec des yeux nouveaux. Des yeux bleus affadis par les larmes versées sur les jours dissimulés.

Je les vois éclairés. Reprenant l’écheveau que j’avais soigneusement enchevêtré. Pour me protéger. Pour les préserver aussi.

Ils défont. Ils dénouent. Ils relient les fils sectionnés. Ils rembobinent. Ils tissent. Sur un nouveau métier. Avec une navette plus facile à faire circuler. Entre les fils de la trame lissée. Qui ne devraient pas céder.

Je les regarde et je n’arrive pas à me soustraire à celle que j’ai fabriquée. À cette vie que j’ai dû inventer. À cette fuite de moi que je me suis infligée. Ce personnage fermé que je me suis créé. Pour mieux le rencontrer. Et finir par l’habiter.

Peut-être est-ce le moment qu’a choisi mon aberration pour tenter l’invasion discrète. Irrémédiable. Parce que je ne retiens plus rien. Parce que tout déborde. Enfin. Parce que je me répands en tout sens. Sans plus de retenue. J’ai enfin cassé mes digues. À la masse. Avec un plaisir non dissimulé. Des éclats tout autour de moi.

Il y a plus de quarante ans j’ai accouché sous x. Parce que ce que j’avais fait ne se faisait pas. Pas de ça chez nous. Comme la comptine qui dit y’en a chez la voisine mais ce n’est pas pour nous.

Le plaisir de la chair ce n’était pas pour moi. Je me devais d’être punie. Comme les enfants indociles. Ceux qui n’obéissent pas corps et âme.

Le fruit d’un amour partagé était inconcevable. Une erreur de jeunesse était irréparable. Impossible à supporter par la réputation.

Alors que tout était possible pour l’arrivée d’un enfant dans ma vie ma mère a imposé de me tuer un peu. De le tuer aussi. Lui laissant la vie sauve. Préservant son honneur. La vertu de son statut. Le nom qu’elle avait épousé sans déjection inconsidérée.

Sans doute savait elle que je survivrais. Elle s’en donnerait les moyens. Peut-être n’y attachait-elle aucune importance.

Que je sois amputée mais vivante. Blessée à vie mais capable de faire semblant. Parce que ce qui compte c’est le qu’en dira-t-on. Pas le bonheur.

Comme elle me l’apprenait depuis l’enfance. Dans la sécheresse de ses injonctions. Me laissant pour longtemps handicapée. Impotente purgée. Errant dans le souvenir du membre fantôme.

Perdu à jamais.

Égarée pour toujours.

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